6 rue Mery : le design d’une utopie moderniste, pop & exotique



COMMANDITAIRE : Projet personnel. Plans, architecture d’intérieur et design du mobilier réalisés en collaboration avec Violaine Poron, co-fondatrice du studio. Gros oeuvre et direction de chantier : Thierry Poron.
PROJET : En 2014, Violaine et moi avons acheté un petit studio à rénover dans le centre historique de Marseille, placé idéalement entre le Vieux-Port, l’Hôtel de Ville, la grande artère hausmanienne de La République, l’Hôtel Dieu (aujourd’hui hôtel Intercontinental cinq étoiles) et le plus vieux quartier de France, le quartier du Panier.
Situé au croisement de la rue Mery et de la Grand Rue, sur un ancien périmètre dynamité par l’administration vichyste, Le Sagittaire est exemplaire de la reconstruction d’après-guerre. Édifié en 1954 sous la direction des architectes Yvan Bentz et André Devin, c’est un grand immeuble d’habitation moderniste en béton armé qui présente un intérêt architectural notable : il est composé de deux ailes de hauteurs différentes et de trois façades aux identités caractéristiques. « Immeuble d’angle, les auteurs abandonnent les formes canoniques de l’angle urbain : poivrière, rotondes ou pan coupé pour une franche rupture des masses bâties. Les deux volumes semblent se frôler, liés uniquement par un pli, une césure habillée de ventelles de béton. Un peu à la manière d’Henri Sauvage, ces architectes manient aussi bien la pierre que le béton et avec autant d’aisance. » (source : Maison de l’architecture et de la ville PACA).
Dès le balcon, la distribution des couleurs est visible. Le parti-pris colorimétrique est radical : blanc, gris 50% et noir mats sont articulés avec une couleur primaire (le cyan) et deux couleurs secondaires (le rouge et le vert). En complément de cette syntaxe de base, des couleurs « matières » : l’inox (robinetterie), le cuivre (tuyauterie), l’or (dorures des cadres) , le marron caramel (bambou, fibres végétales des luminaires et tapis, carrelage balcon).
L’immeuble, en effet, est construit dans une décennie résolument moderniste : La Cité Radieuse, paradigme des grands ensembles d’habitation pour longtemps encore, est achevée quelques kilomètres au Sud deux ans plus tôt, en 1952, ainsi que l’ensemble de La Tourette de Fernand Pouillon, tout proche, qui redéfinit la skyline marseillaise des années 1950... le même Pouillon qui finalise en outre les immeubles du Quai du Port, dans l’axe de la rue Mery, avec l’aide d’Ausguste Perret (célébré pour sa reconstruction du Havre à l’après-guerre), au moment où Le Sagittaire est inauguré.
La chambre articule le cyan et le blanc : ciel et océan s’y rejoignent dans un espace épuré où les rangements sont réalisés dans la verticalité uniquement, afin de libérer entièrement l’espace au sol, et sans angles droits, afin de ne pas entraver la vue offerte par la baie vitrée 1950.
À la lumière de ces contexte et environnement architecturaux exceptionnels, nous décidons de réhabiliter ce studio pour lui redonner son caractère moderniste et pratique. En effet, pendant 60 ans, de nombreux occupants sont passés par là, rajoutant des cloisons, condamnant des portes, modifiant en profondeur l’appartement d’origine. Nous décidons, par conséquent, de faire table rase - procédé moderniste s’il en est -, d’abattre tous les murs et de détruire le mobilier qui n’est pas d’origine. En questionnant la structure de l’appartement, nous décidons de transformer ce studio obscur et défraîchi de 35 m2 en un T2 ultra-fonctionnel et lumineux, au design minimaliste mais avec une déco synthétisant le cabinet de curiosités surréaliste avec le bar tropical. Car nous voulons avant tout nous y sentir bien - donc en vacances ; ) -, y rêver de nos voyages et sources d’inspirations - réels ou imaginaires.
D’un côté, une cabane de plage, face à l’océan, ses vagues hawaïennes - ou réunionnaises - qui déferlent et déroulent à l’infini. De l’autre, une forêt de bambous, mystérieuse et nocturne, avec ses chasseurs de têtes et ses divinités telluriques, issues des entrailles du grand volcan et de sa lave rougeoyante en fusion. Charlotte Perriand, Les Baxter, le douanier Rousseau, mais aussi Hergé ne sont jamais très loin.
Dans ce cocktail imaginaire d’aventures bon enfant, aux côtés des tiki grimaçants et de la rumeur lounge de la jungle exotica, s’invite aussi le Space Age californien et ses matières chromées, telle une Cadillac bleue, avec ses phares arrières rutilants aux formes streamline rétro-futuristes.
Le salon articule le rouge et le blanc, avec des touches de vert et de cyan : le feu rougeoyant du volcan et la fraîcheur mystérieuse de la forêt s’y retrouvent dans un espace à la fois fonctionnel et sophistiqué où les rangements sont réalisés en hauteur uniquement, afin de supprimer l’encombrement des meubles et de libérer l’espace au sol.  Le mobilier est réalisé sans angles droits dans les passages, afin de ne pas gêner le déplacement.
La cheminée traditionnelle est revisitée avec une touche d’humour : un meuble vient encadrer le radiateur à inertie fluide, articulant tout le salon autour du foyer. 
Le mobilier est imaginé, dessiné et réalisé sur mesure. L’exotisme du bambou coloris caramel se confronte à un design rétro-futuriste évoquant le Googie - ici, dans les jeux de couleur et de lumière avec les cubes de verre. Entre fonctionnalité et sens du détail élégant, l’influence déterminante de la designer Charlotte Perriand (dont on retrouve le travail sur le mobilier dans chaque appartement de la Cité Radieuse du Corbusier) est aussi évidente, que ce soit à travers sa maison au bord de l’eau (1934) ou dans ses associations de couleur et de matières.
La cuisine articule le rouge et le gris minéral : on est véritablement au coeur du volcan. Les plans de travail et les étagères affilés convoquent le mouvement et la vitesse, les équipements oxymoriques (bambou naturel et bois peint, robinetterie néo-classique et spots chromés, évier en céramique blanche et plaque à induction en verre noir) se confrontent et fondent une esthétique rétro-futuriste.
La cuisine américaine rouge et gris minéral est le centre de cette capsule insulaire et volcanique : c’est là où convergent toutes les lignes et les déplacements de par la distribution des pièces. C’est aussi là où convergent les regards car il n’y a aucune porte dans l’appartement. C’est, enfin, l’endroit d’où se dégage le plus de chaleur visuelle (concentration maximale de la couleur rouge) et de chaleur thermique (four et plaques de cuisson).
La référence à Perriand est appuyée par le futurisme géométrique des formes et sa syntaxe moderniste (pilotis, portes-à-faux, circulation de la lumière via le plan libre, toit-terrasse). Ainsi, la banquette, avec ses portes-à-faux et son espace inférieur ouvert, est inspirée du travail architectural du Corbusier : sans accoudoirs, elle se déploie jusqu’à la baie vitrée telle un toit-terrasse, pour ne pas encombrer l’espace, ni gêner la projection du regard vers l’extérieur.
Des étagères de bibliothèque permettent une séparation visuelle et sonore de l’espace de vie (salon et cuisine) et de l’espace de repos (chambre). Posées sur pilotis, les étagères du bar se déploient en hauteur sur la moitié de l’appartement, telles un pont enjambant l’espace de travail de la cuisine. Au bout du pont : l’accès à la chambre et l’accès au dressing. 
Le dressing est conçu comme une pièce à part : c’est l’appartement en négatif. L’exiguïté et l’absence de fenêtres ont donné lieu au choix radical d’en faire un espace sans contours, volume entièrement peint en noir mat, pour éprouver l’absence de limite spatiale. Là où la lumière, le blanc et les aplats de couleurs vives dominent ailleurs dans l’appartement, le dressing est une cavité - un espace dans l’espace - sombre et magique qui nous met face à nous-mêmes dans l’épreuve du miroir, à la fois réflecteur de la lumière extérieure et fenêtre quantique vers l’envers. Pièce habituellement dédiée au rangement pratique des vêtements, chaussures, sacs et linge de maison, le dressing du 6 rue Méry invite à vivre une expérience de transformation - vestimentaire, mais pas seulement -, une douce catabase sensorielle inspirée des Infinity Mirror Rooms de l’artiste japonaise Yayoi Kusama.
À l’intersection de la cuisine (rouge et grise), de la chambre (bleue) , du dressing (noir) et de la salle de bain (verte et grise), le corridor est un espace neutre entièrement blanc. C’est l’espace par lequel on entre dans le logement, un espace transitoire donc, entièrement dédié au rangement des livres, papiers et autres dossiers volumineux. Les étagères sont dessinées et réalisées sur mesure. Elles sont réalisées sans angles droits dans les passages, afin de ne pas gêner le déplacement et d’ouvrir le champ visuel au maximum en direction des baies vitrées et de la ville au-delà. Leur lignes affilées évoquent autant le rétro-futurisme Googie que les esthétiques californiennes surf et skate, deux cultures et sources d’inspiration graphiques fondamentales dans mon travail.
La salle de bain articule le vert et le gris minéral dans un espace clos sur lui-même : le végétal et la roche basaltique s’y rejoignent pour consacrer l’intimité et le plaisir de l’eau.
La salle d’eau, comme le dressing, ne comporte pas de fenêtre. Certes, nous voulions en faire un vase clos, tel un bassin de basalte niché dans un écrin de bambous, mais nous souhaitions aussi une percée pour apporter la lumière naturelle et soutenir la chaleur visuelle des ponctuations délibérément vertes - et pas bleues, ce qui aurait eu pour effet de « rafraîchir » la pièce. Recréer l’ambiance claire-obscure propre aux environnements d’eaux vives typiquement tropicaux ? Pour ce faire, cinq cubes de verres orientés dans l’axe de la baie vitrée ont trouvé leur place dans le mur ouest de la pièce, apportant jeux de lumière et réflections aquatiques sur le mur est.
Comme dans la cuisine, robinetterie néo-classique et céramique blanche apportent clarté et élégance tout en contraste avec l’esthétique « cabane de plage » des équipements en bambou. La douche, telle une cascade, est une halte bienvenue au sein d’un volume entièrement minéral à l’abri de la lumière.
De l’autre côté de la percée de lumière et du mur ouest de la salle de bain, on retrouve l’espace cuisine avec son bar. À noter : les jeux géométriques modernistes opérés par les cubes de verre, les pilotis, les étagères et les bambous multicolores du bar.
De retour au salon, le soleil s’est couché, et déjà la nuit marseillaise se pare de ses lueurs orientales. Modèle original réalisé sur mesure pour une occupation minimale de l’espace et une ouverture maximale de la baie vitrée 1950, la banquette en bambou n'attend plus que vous pour profiter du spectacle !
Making of du travail réalisé... Une expérience inoubliable pour les 2 V ; ) Merci pour tout Thierry et big love à Violaine !

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